Le créateur, quand il eut fait la terre,
la recouvrit d'êtres vivants.
Du serpent au mulot, et jusqu'à l'éléphant
tous étaient bons, car tous étaient mâles
Survint le diable qui lui dit :
"s'ils suivent ta loi indéfectible
de croissance, vie et trépas,
ils vont tôt ou tard disparaître,
et la planète redeviendra inhabitée
si tu n'introduis pas quelque reproduction".
Puis détournant la tête dans son aile
(il n'avait pas de cape) il ricana
en aparté de la suggestion
qu'il venait de faire au père tout-puissant.
Ce dernier réfléchit longuement,
secoua et lança les dés
avec lesquels tout ici bas
se voit pesé et décidé;
enfin, penchant gravement le front,
il entérina le décret du destin.
A nouveau de toutes parts sur la terre
la native poussière vola
les rivières jaillirent de leurs lits,
et se mêlèrent en une pâte.
Quand il en eut assez (juste suffisamment
car la nature est économe de ses biens)
Dieu se mit à pétrir l'argile,
Tandis que le malin,
subrepticement, en rejetait un peu.
Toutes les formes furent modelées
dans leurs moindres détails,
ébauches tout d'abord, et puis, par petites touches
de plus en plus précises, enfin parachevées,
jusqu'à l'entière confection
du double de chaque créature,
double femelle au grand complet
sauf (plus d'argile, tout à coup…) le cœur.
"Pas de problèmes " dit le diable ; " je reviens
sur l'heure avec les pièces nécessaires ".
Sitôt parti , il était de retour
avec dans sa besace le nombre suffisant.
Cette nuit là la Terre
Retentit du vacarme des cris et des disputes ;
Dix millions d'êtres mâles étaient dotés de femmes.
Cette nuit là la paix,
Chassée, meurtrie, survola par hasard l'enfer.